Ici et maintenants
Quand déménageant un endroit qui était important pour toi tu réalises qu’à chaque vis que tu démontes, à chaque objet que tu touches, à chaque chose que tu jettes est accroché un maintenant que tu pensais avoir oublié.
Un ancrage émotionnel, corporel ou tu recontactes l’histoire qui s’est construite en toi, sur cet ici : la joie que tu avais mis dans cet achat, le doute que tu avais posé sur ce travail.
Tu ne te rappelle pas, CA te rappelle, c’est ton corps qui sait ; c’est cette trace émotionnelle qui te tord le corps et réveille le dragon de la pensée.
Tu le vois se déployer en arborescence infinie mélangeant les possibles de l’époque aux regrets d’aujourd’hui, les espoirs au constats, les nécessités du moment aux pragmatisme utilitaire de maintenant.
Occupant, saturant tout ton espace mental.
A chaque vis, à chaque objet tu es balayé comme un fétu de paille.
Résister est impossible, se laisser aller trop engloutissant.
Voir ta fille présenter son projet de fin d’étude d’architecture et retrouver ici, face à elle tous les maintenants, la maternité, l’odeur du lait, le CM2, sa première sortie du soir, des rires, tes promesses non tenues, tes courages et tes lachetés, ton amour infini, tous ces maintenants là dans ton corps et la peur du dragon que tu calmes comme tu peux pour qu’il ne prenne pas la place dans ce moment de fierté.
Ne pas passer a la maison de retraite, parce que tu te sais vulnérable, tu sais que derrière cette porte les maintenants couvrent ta vie entière et que devant ce regard ton corps se tordra et tu as peur de cela. Quand la lâcheté est moins douloureuse que les maintenants d’un regard.
Ici écrire les maintenants, pour être ici et seulement maintenant.
Comme un funambule sur un fil de maintenant.